Musée régional de Vaudreuil-SoulangesVaudreuil-Dorion, Quebec
Le canal de Soulanges (1899-1958) : une aventure technologique et humaine 6. Le canal de Soulanges (1899-1958) : une réalité
6.1 Un canal moderne et bien de son temps
Lorsque les premiers navires traversèrent le canal de Soulanges après son ouverture officielle le 9 octobre 1899, les marins se trouvant à bord découvrirent un ouvrage moderne, construit selon des techniques innovatrices et très bien adaptées aux besoins de la navigation de cette époque. Capable d'accueillir des bâtiments de plus de 3 000 tonnes, le canal se compose de cinq écluses permettant de franchir les 24 mètres de dénivelé entre les lacs Saint-Louis et Saint-François. Trois de ces écluses seront installées dans les deux premiers kilomètres du canal situés sur le territoire de la localité de Pointe-des-Cascades, point d'entrée inférieur donnant accès au lac Saint-Louis. Par la suite, il faut parcourir près de quatre kilomètres avant d'atteindre la quatrième écluse érigée à Les Cèdres, puis 16,8 kilomètres supplémentaires pour accéder à la tête du canal située à Les Coteaux et ainsi parvenir au lac Saint-François. Les dimensions des écluses sont impressionnantes. En effet, chacune d'elles mesure 85,3 mètres de longueur, 13,7 mètres de largeur, 4,3 mètres de profondeur et toutes atteignent 7,2 mètres d'élévation.
6.2 Un passage plus rapide
Les navires s'engouffrant à l'intérieur du canal de Soulanges devaient compter en moyenne près de trois heures et demie avant de franchir l'ensemble du parcours de 23,4 kilomètres. Bien que la durée du passage s'allonge au cours du 20e siècle, en raison des dimensions grandissantes des bâtiments obligeant le personnel à ralentir les opérations afin d'éviter les accidents, son utilisation s'avère néanmoins une économie de temps appréciable si on la compare à l'ancien canal de Beauharnois. En effet, les bateaux à vapeur qui l'empruntaient pouvaient prendre jusqu'à huit heures pour le traverser. La construction novatrice des écluses et l'électrification du canal de Soulanges ont donc fortement contribué à réduire le temps de passage des navires. C'est ainsi qu'influencé par l'expertise britannique, l'ingénieur Thomas Monro, responsable des travaux du canal de Soulanges, utilisera des vannes de type Stoney permettant de remplir très rapidement les écluses (une opération d'environ six minutes) en réduisant les turbulences de l'eau au maximum. De plus, afin d'éviter que les portes ne soient abîmées par la pression exercée par l'immense masse d'eau retenue à l'intérieur de l'écluse, Monro exigera qu'elles pèsent 95 tonnes et soient fabriquées de pin Douglas de Colombie-Britannique. Entièrement suspendues, les portes mettront une minute à se refermer dans un mouvement entièrement synchronisé empêchant tout problème d'étanchéité et de chevauchement. Autre élément unique pour cette époque, Monro utilisera une grande quantité de béton afin de réaliser les planchers des écluses qui étaient habituellement confectionnés en bois. Celui-ci mettra également à profit la force hydraulique développée au point de rencontre entre le canal et la rivière à la Graisse pour faire construire une centrale hydroélectrique capable d'actionner les écluses et les ponts tournants réduisant le nombre d'hommes nécessaire à la réalisation de ces tâches. L'électricité ainsi produite servira également à éclairer l'ensemble de la voie navigable le soir et la nuit favorisant ainsi son utilisation 24 heures par jour. L'électrification du canal permettra également de doubler l'achalandage des navires. L'ensemble de ces innovations feront jouer au canal de Soulanges un rôle essentiel dans l'économie maritime du pays et sa réalisation constituera pour ses concepteurs une source de fierté en raison de sa modernité.
6.3 Un canal à contourner...
La mise en place des réseaux de canaux entre le port de Montréal et les Grands Lacs va donner lieu à un très curieux phénomène communément appelé « le saut des rapides ». Cette aventure haute en couleur sera offerte par la Richelieu and Ontario Navigation Company qui deviendra en 1913 la Canada Steamship Line. Cette compagnie maritime proposait à sa clientèle des circuits touristiques permettant d'admirer les endroits les plus spectaculaires sur le fleuve Saint-Laurent, des chutes du Niagara au fjord du Saguenay. Les passagers pouvaient ainsi choisir entre plusieurs trajets et embarquer sur des navires luxueux où les plaisirs de la table étaient également à l'honneur. Le corridor Prescott-Montréal s'avérait être le parcours de prédilection pour les amateurs de sensations fortes. À bord de navires conçus à cet effet, tels les Rapids Prince, Rapids Queen et Rapids King, les voyageurs, lorsque le niveau de l'eau le permettait, descendaient les rapides du Long-Sault, de Soulanges et de Lachine. Barrés par des capitaines expérimentés, ces bâtiments d'acier de près de 1 000 tonnes, dont la carène était renforcée par une épaisse couche de bois d'orme, affrontaient les eaux mouvementées du fleuve au grand plaisir des passagers regroupés sur le pont d'où ils étaient aux premières loges pour mieux admirer ce spectacle grandiose. Comme le souligne l'historien François Cartier dans l'ouvrage Canal de Soulanges. D'un défi à l'autre, en raison de leur habileté et de leur réputation, plusieurs des pilotes de ces navires capables de « sauter les rapides » seront d'origine amérindienne et résideront à Kahnawake1. Ces escapades maritimes prendront fin au milieu du 20e siècle.
1. François Cartier. Canal de Soulanges. D'un défi à l'autre. Les Coteaux, Société de développement du canal de Soulanges / Musée régional de Vaudreuil-Soulanges, 1999, p. 73.